Les temps changent

Les temps changent ?
Retour vers le futur avec Jean-Chistophe Béchert, rédacteur en chef adjoint de Réponse Photo, issu du même magazine, numéro 158, datant de mai 2005. Aperçu :
RENTABILITE ?
Rollei, Ilford, Hasselblad, Leica, Contax... L'époque actuelle est, à l'évidence, délicate pour quelques grands noms historiques de l'industrie photo. Sans entrer dans un débat financier (quel est le pourcentage des pertes au regard du capital propre ?), je voudrais toutefois réagir à une opinion basique qui se répand de plus en plus : si ça ne se vend pas, tant pis c'est de leur faute, qu'ils disparaissent ! "Ils avaient qu'à innover", "faut vivre avec son temps", "et taratata, et taratata"... Bien sûr je connais la loi du marché et ses règles, et mon CV garde les traces d'une licence d'économie. Je ne suis donc pas un doux rêveur qui croit à un monde désintéressé où l'on sauve les bons produits à coups de pétitions et de bons sentiments. Toutefois, cette formation me permet aussi de douter de certains dogmes et de ne jamais oublier qu'en économie lorsque l'on "veut tuer son chien on l'accuse de la rage". Autrement dit : on trouvera toujours un expert pour nous expliquer tout et son contraire à partir des mêmes données financières...
Ainsi, si l'on ne devait conserver que les secteurs en permanence rentables, beaucoup de "produits" n'existeraient plus en France, à commencer par la presse nationale (Libération, Le Monde, L'Humanité) ou la haute couture. Deuxième bémol : au niveau mondial la plupart des industries photographiques sont fortement déficitaires. Même les marques à 100% "digitales" ! La survie des divisions "photo" dépend de leur association à d'autres départements "juteux" (photocopieuses, matériel médical, militaire, scientifique...).
BLAD ET LEICA
Pour Leica comme pour le moyen format, l'erreur que commettent, à mon sens, certains analystes est de se baser sur le nombre de boîtiers neufs vendus chaque année pour affirmer que tel ou tel secteur est condamné. Tous ceux qui ont acquis un Blad ou un M6 il y a cinq, dix ou quinze ans continuent à l'utiliser sans ressentir le besoin d'en acheter un autre. En effet, dès l'origine, Leica comme Hasselblad ont eu un comportement économique "scandaleux" : ils ont vendu des appareils qui durent et satisfont ceux qui s'en servent ! Quelle erreur ! Bien sûr, Leica a raté en partie l'évolution de sa gamme réflex, a laissé passer l'X-Pan de Fuji, et sa politique commerciale en a agacé plus d'un. Mais aujourd'hui, même avec le plus génial des ingénieurs et des managers, une entreprise comme Leica ou Hasselblad ne peut rivaliser avec des Canon, Sony ou Samsung sur le créneau capital du "R&D" (Recherche et Développement). Ce n'est plus un Oskar Barnack dans son coin qui peut concevoir un capteur full frame, un DSP, un logiciel de dématriçage, etc... L'époque est finie où l'artisanat pouvait rivaliser avec les multinationales dans le monde de la photo.
100€ PAR AN
Aujourd'hui la raison d'être de Leica c'est la gamme M. Est-elle dépassée ? Vouée à disparaître ? Certains le disent et le répètent depuis 20 ans. Ils auront, à force, peut-être raison. Tout finit toujours par s'arrêter, un jour... Mais il est particulièrement piquant de voir certains "spécialistes" qui n'ont jamais su manier ces boîtiers manuels, ni comprendre leur vraie originalité, venir expliquer à ceux qui les utilisent pourquoi ils sont aujourd'hui démodés. Quel toupet !
De mon côté, j'ai acheté un Leica M6 en 1990 et j'ai attendu 6 mois pour avoir mon propre objectif, un 35mm f:2. Quinze ans plus tard, c'est ce même M6 et ce même Summicron que j'avais dans mon sac à la dernière PMA de février 2005. Ce M6 cohabitait dans mon fourre-tout avec un Nikon D70 et un Mamyia 6. J'aime en effet passer d'un boîtier à l'autre selon les sujets, les envies, les besoins, l'atmosphère.... Ainsi, l'année dernière, pour un reportage "pro", mon M6 avec son seul 35mm s'est révélé être plus efficace qu'un équipement réflex autofocus-matriciel etc. "top niveau"... Alors que l'on arrête de me dire qu'utiliser un M est du snobisme, du passéisme, ou un signe ostensible de luxe (c'est aussi cela, mais ce n'est pas que cela !). En quinze ans mon M6 plus 35mm m'ont coûté bien moins cher qu'un équipement dit basique. Mon investissement devait être d'environ 3000€ en 1990. Aujourd'hui, pour 1500€ je peux revendre les deux. Quinze ans de photos en M pour 1500€, soit 100€ par an. Citez-moi un autre rapport qualité-prix de ce niveau !
LES RICHES RETRAITES
Ce n'est pas pour autant que je conseillerais à chacun d'acheter un MP ou un M7. Non, les M ne conviennent pas à tous les styles, à toutes les personnalités. Que ceux qui les trouvent "has been" ne les utilisent pas pour faire passer les autres pour des "snobs". Cette intolérance "technique" (l'AF serait forcément mieux, comme les zooms, comme les pixels...) m'agace fort. Oui, les pros utilisent principalement des Canon et des Nikon réflex... Mais la plupart d'entre eux ont aussi au fond d'un sac un M qui traîne. Quant aux "notables", "snobs", ou autres riches retraités qui ont aussi acquis des M en peau de lézard pour les exposer dans des vitrines, je les remercie. Ils ont permis que cette voie photographique survive pour ceux qui travaillent avec un M sans pour autant ré-investir. Aujourd'hui, pour être franc, je dois avouer que je ne sais pas ce que Leica aurait dû faire ou ne pas faire dans tel ou tel cas. Ce que je sais, c'est que si Leica, Contax ou Hasselblad disparaissent ou perdent leur identité, je serai triste. Comme devraient l'être tous ceux qui disent aimer la photographie.
Les temps changent. Souriez.
Retour vers le futur avec Jean-Chistophe Béchert, rédacteur en chef adjoint de Réponse Photo, issu du même magazine, numéro 158, datant de mai 2005. Aperçu :
Jean-Chistophe Béchet a écrit :
RENTABILITE ?
Rollei, Ilford, Hasselblad, Leica, Contax... L'époque actuelle est, à l'évidence, délicate pour quelques grands noms historiques de l'industrie photo. Sans entrer dans un débat financier (quel est le pourcentage des pertes au regard du capital propre ?), je voudrais toutefois réagir à une opinion basique qui se répand de plus en plus : si ça ne se vend pas, tant pis c'est de leur faute, qu'ils disparaissent ! "Ils avaient qu'à innover", "faut vivre avec son temps", "et taratata, et taratata"... Bien sûr je connais la loi du marché et ses règles, et mon CV garde les traces d'une licence d'économie. Je ne suis donc pas un doux rêveur qui croit à un monde désintéressé où l'on sauve les bons produits à coups de pétitions et de bons sentiments. Toutefois, cette formation me permet aussi de douter de certains dogmes et de ne jamais oublier qu'en économie lorsque l'on "veut tuer son chien on l'accuse de la rage". Autrement dit : on trouvera toujours un expert pour nous expliquer tout et son contraire à partir des mêmes données financières...
Ainsi, si l'on ne devait conserver que les secteurs en permanence rentables, beaucoup de "produits" n'existeraient plus en France, à commencer par la presse nationale (Libération, Le Monde, L'Humanité) ou la haute couture. Deuxième bémol : au niveau mondial la plupart des industries photographiques sont fortement déficitaires. Même les marques à 100% "digitales" ! La survie des divisions "photo" dépend de leur association à d'autres départements "juteux" (photocopieuses, matériel médical, militaire, scientifique...).
BLAD ET LEICA
Pour Leica comme pour le moyen format, l'erreur que commettent, à mon sens, certains analystes est de se baser sur le nombre de boîtiers neufs vendus chaque année pour affirmer que tel ou tel secteur est condamné. Tous ceux qui ont acquis un Blad ou un M6 il y a cinq, dix ou quinze ans continuent à l'utiliser sans ressentir le besoin d'en acheter un autre. En effet, dès l'origine, Leica comme Hasselblad ont eu un comportement économique "scandaleux" : ils ont vendu des appareils qui durent et satisfont ceux qui s'en servent ! Quelle erreur ! Bien sûr, Leica a raté en partie l'évolution de sa gamme réflex, a laissé passer l'X-Pan de Fuji, et sa politique commerciale en a agacé plus d'un. Mais aujourd'hui, même avec le plus génial des ingénieurs et des managers, une entreprise comme Leica ou Hasselblad ne peut rivaliser avec des Canon, Sony ou Samsung sur le créneau capital du "R&D" (Recherche et Développement). Ce n'est plus un Oskar Barnack dans son coin qui peut concevoir un capteur full frame, un DSP, un logiciel de dématriçage, etc... L'époque est finie où l'artisanat pouvait rivaliser avec les multinationales dans le monde de la photo.
100€ PAR AN
Aujourd'hui la raison d'être de Leica c'est la gamme M. Est-elle dépassée ? Vouée à disparaître ? Certains le disent et le répètent depuis 20 ans. Ils auront, à force, peut-être raison. Tout finit toujours par s'arrêter, un jour... Mais il est particulièrement piquant de voir certains "spécialistes" qui n'ont jamais su manier ces boîtiers manuels, ni comprendre leur vraie originalité, venir expliquer à ceux qui les utilisent pourquoi ils sont aujourd'hui démodés. Quel toupet !
De mon côté, j'ai acheté un Leica M6 en 1990 et j'ai attendu 6 mois pour avoir mon propre objectif, un 35mm f:2. Quinze ans plus tard, c'est ce même M6 et ce même Summicron que j'avais dans mon sac à la dernière PMA de février 2005. Ce M6 cohabitait dans mon fourre-tout avec un Nikon D70 et un Mamyia 6. J'aime en effet passer d'un boîtier à l'autre selon les sujets, les envies, les besoins, l'atmosphère.... Ainsi, l'année dernière, pour un reportage "pro", mon M6 avec son seul 35mm s'est révélé être plus efficace qu'un équipement réflex autofocus-matriciel etc. "top niveau"... Alors que l'on arrête de me dire qu'utiliser un M est du snobisme, du passéisme, ou un signe ostensible de luxe (c'est aussi cela, mais ce n'est pas que cela !). En quinze ans mon M6 plus 35mm m'ont coûté bien moins cher qu'un équipement dit basique. Mon investissement devait être d'environ 3000€ en 1990. Aujourd'hui, pour 1500€ je peux revendre les deux. Quinze ans de photos en M pour 1500€, soit 100€ par an. Citez-moi un autre rapport qualité-prix de ce niveau !
LES RICHES RETRAITES
Ce n'est pas pour autant que je conseillerais à chacun d'acheter un MP ou un M7. Non, les M ne conviennent pas à tous les styles, à toutes les personnalités. Que ceux qui les trouvent "has been" ne les utilisent pas pour faire passer les autres pour des "snobs". Cette intolérance "technique" (l'AF serait forcément mieux, comme les zooms, comme les pixels...) m'agace fort. Oui, les pros utilisent principalement des Canon et des Nikon réflex... Mais la plupart d'entre eux ont aussi au fond d'un sac un M qui traîne. Quant aux "notables", "snobs", ou autres riches retraités qui ont aussi acquis des M en peau de lézard pour les exposer dans des vitrines, je les remercie. Ils ont permis que cette voie photographique survive pour ceux qui travaillent avec un M sans pour autant ré-investir. Aujourd'hui, pour être franc, je dois avouer que je ne sais pas ce que Leica aurait dû faire ou ne pas faire dans tel ou tel cas. Ce que je sais, c'est que si Leica, Contax ou Hasselblad disparaissent ou perdent leur identité, je serai triste. Comme devraient l'être tous ceux qui disent aimer la photographie.
Les temps changent. Souriez.
