Une Porsche Louis XV

Chers amis,
Je ne parcours plus guère les forums, certes, et d’autant moins en ce qui concerne le numérique. J’ai eu néanmoins l’idée malicieuse de cette petite intrusion en discutant avec Jean D. tout à l’heure devant une soupe vietnamienne.
Jean me disait qu’il a pu manipuler le fameux M8 lors de l’assemblée générale des Amis de Summilux, société savante florissante qui permet (et je m’en félicite) à ce forum de ne pas être inondé de pop-up faisant la publicité de femmes à poil ou de voyages paradisiaques (ouf ! car le choix serait cornélien en ce qui me concerne).
Il me parlait avec une moue peu équivoque du nouvel obturateur, et du bruit inhérent à son déclenchement et à son réarmement automatique. La chose est absolument futile, à l’image de la plupart de nos discussions techniques ici archivées, raison pour laquelle nous nous y complaisons autant que des chats dans un carré de soleil.
L’obturateur d’Oskar Barnak (avec au moins deux k, car c’en était un sacré, paix à ton âme Oskar) est probablement le cœur du mythe Leica. Je ne veux absolument pas entamer de joute avec les tenants du Leica R, car si la qualité des optiques peut être une des raisons qui nous ont fait venir au Leica, ce n’est plus une raison de notre fidélité indéfectible. Celle-ci relève bien davantage du sacré, ou du mystique : la nostalgie de l’âge du bronze, de la laque chinoise, du cuir anglais, de l’horloge perpétuelle ou du pendule de Foucault. En un mot, de la fascination stupide pour les magies anciennes. Ne manquent plus que les cierges et les cantiques.
Je ne grince qu’à peine, étant moi-même envoûté. Quand, en plus, l’objet swingue (Henri, pardon pour ce plagiat !), on n’a plus qu’à l’utiliser sans film et tout est dit. Et quand la force manque dans le poignet, il reste un magnifique presse-papier (n’est-ce pas Jeanloup ?).
Or, par les temps qui courent, on entend des choses curieuses : certains voudraient que le Leica ressemble à un appareil photo (alors qu’il n’est qu’un appareil photo, comprenne qui pourra). Je ne jouterai donc pas, dis-je, avec les tenants de l’optique : ils ont par définition raison puisque ce sont eux qui sont debout à faire des photos, tandis que nous sommes à genoux devant les boîtiers. Je ne m’intéresserai donc ici qu’aux boîtiers, c’est-à-dire aux M (et aux M seulement puisque les R ne sont que des porte-objectif Leica). J’ajouterai pour être bien compris que si c’est seulement le M qui m’intéresse, c’est pour ce qu’il EST, en dehors de ses capacités techniques.
Car ses capacités techniques sont navrantes, évidemment (la synchro, le décalage de la parallaxe, l’impossibilité de faire de la téléphoto sauf à passer par un dispositif digne des premiers bloc-moteurs Peugeot, ni de la macro à moins d’être un adepte du soufflet la tête à l’envers). Et je ne parle pas de la vitesse qui plafonne au grand millième de seconde, à peu près comme un instamatic de qualité.
Ou plutôt, si, j’en parle, parlons-en…C’est le sujet de cette brève déjà trop longue (mais distrayante j’espère).
On entend et on lit que le problème du M, parfois avant tous les autres, parfois à l’exclusion des autres (tiens, les autres tares n’en seraient donc pas ?), c’est sa trop faible vitesse d’obturation. Pauvre Oskar, et pauvres héritiers de Solms, qui n’ont pas réussi à lui faire passer le cap du 2000e sans le faire claquer abominablement. Ceci est dû, vous le savez, au fait que le défilement horizontal du rideau en toile caoutchoutée est mû par un ressort qu’on ne peut pas accélérer davantage étant donné qu’il déplace une matière souple, sensible à la déformation. On ne peut pas non plus jouer sur la taille de la fente car celle-ci est formée par le rapprochement d’axes sur lesquels s’enroulent les deux rideaux et qu’il y a un jeu mécanique minimal nécessaire à ce dispositif finalement très similaire aux enrouleurs des ceintures de sécurité de nos voitures modernes (Oskar était visionnaire !).
Le problème n’en était pas un quand les films sont (étaient) peu sensibles. C'est-à-dire que quand, comme Jean D., vous photographiez le désert avec du 25 asa, vous pouvez ouvrir à f :4 ou f :5,6 sans souci, vous resterez au 1 :500e à midi. Evidemment, le père Jean se met à râler quand, avec son film 160 asa, il doit rester au taquet de f :16 au 1 :1000e. Car sa créativité est alors limitée (profondeur de champ très grande sur toutes les vues), sans compter que les irrégularités d’exposition de son antiquité (un M2 black) sont sensibles à cette vitesse.
Le problème de la vitesse pas assez grande est alors un problème du film pas assez lent. Et malheureusement on ne trouve plus de film suffisamment lent. Ekreviss qui, j’en suis sûr, va lire ce fil un jour ou l’autre, ou l'autre compère Jean (de Bordeaux) ne me démentiront pas. Et j’affirme cela d’autant plus effrontément que je suis moi-même un gouniafier qui shoote au 400 iso dans le désert en défendant que c’est mon style (le poète a toujours raison pourrait-on dire, comme on dirait qu’il n’est pas nécessaire de détromper l’abruti).
J’en conclus que faire un procès au M, c’est faire un procès à l’évolution des films. J’entends déjà les cassandres à papa me rétorquer qu’il faut être de son temps, que l’exploration des ombres a permis l’essor de la photo moderne, et que c’est une victoire de la BASF (information pour ceux qui voudraient écrire l’épitaphe d’Agfa). Je reçois cette volée de bois vert sans broncher car je n’ai pas dit que les films rapides étaient inutiles. J’ai seulement suggéré qu’il était dommage de ne plus trouver de films lents.
Et pourquoi ne trouve-t-on plus de films lents ? Parce que les consommateurs sont trop paresseux pour changer de film entre deux situations de lumière (il faut rembobiner et préserver l’amorce, en ayant pris soin de noter sur son carnet en papier recyclé et avec un crayon de bois le numéro de la dernière vue exposée), ou trop fauchés (peuh !) pour gerber avec désinvolture dans leur fourre-tout deux ou trois appareils photo chargés chacun d’un film différent.
J’arrive donc à un point de mon raisonnement où, avec toute la plus mauvaise foi du monde, je ne peux pas ne pas défendre l’adaptation des appareils modernes aux hautes vitesses d’obturation.
J’ai donc écrit tout ça pour rien et je vous invite à réfléchir à une question plus pertinente dans le post suivant.
Je ne parcours plus guère les forums, certes, et d’autant moins en ce qui concerne le numérique. J’ai eu néanmoins l’idée malicieuse de cette petite intrusion en discutant avec Jean D. tout à l’heure devant une soupe vietnamienne.
Jean me disait qu’il a pu manipuler le fameux M8 lors de l’assemblée générale des Amis de Summilux, société savante florissante qui permet (et je m’en félicite) à ce forum de ne pas être inondé de pop-up faisant la publicité de femmes à poil ou de voyages paradisiaques (ouf ! car le choix serait cornélien en ce qui me concerne).
Il me parlait avec une moue peu équivoque du nouvel obturateur, et du bruit inhérent à son déclenchement et à son réarmement automatique. La chose est absolument futile, à l’image de la plupart de nos discussions techniques ici archivées, raison pour laquelle nous nous y complaisons autant que des chats dans un carré de soleil.
L’obturateur d’Oskar Barnak (avec au moins deux k, car c’en était un sacré, paix à ton âme Oskar) est probablement le cœur du mythe Leica. Je ne veux absolument pas entamer de joute avec les tenants du Leica R, car si la qualité des optiques peut être une des raisons qui nous ont fait venir au Leica, ce n’est plus une raison de notre fidélité indéfectible. Celle-ci relève bien davantage du sacré, ou du mystique : la nostalgie de l’âge du bronze, de la laque chinoise, du cuir anglais, de l’horloge perpétuelle ou du pendule de Foucault. En un mot, de la fascination stupide pour les magies anciennes. Ne manquent plus que les cierges et les cantiques.
Je ne grince qu’à peine, étant moi-même envoûté. Quand, en plus, l’objet swingue (Henri, pardon pour ce plagiat !), on n’a plus qu’à l’utiliser sans film et tout est dit. Et quand la force manque dans le poignet, il reste un magnifique presse-papier (n’est-ce pas Jeanloup ?).
Or, par les temps qui courent, on entend des choses curieuses : certains voudraient que le Leica ressemble à un appareil photo (alors qu’il n’est qu’un appareil photo, comprenne qui pourra). Je ne jouterai donc pas, dis-je, avec les tenants de l’optique : ils ont par définition raison puisque ce sont eux qui sont debout à faire des photos, tandis que nous sommes à genoux devant les boîtiers. Je ne m’intéresserai donc ici qu’aux boîtiers, c’est-à-dire aux M (et aux M seulement puisque les R ne sont que des porte-objectif Leica). J’ajouterai pour être bien compris que si c’est seulement le M qui m’intéresse, c’est pour ce qu’il EST, en dehors de ses capacités techniques.
Car ses capacités techniques sont navrantes, évidemment (la synchro, le décalage de la parallaxe, l’impossibilité de faire de la téléphoto sauf à passer par un dispositif digne des premiers bloc-moteurs Peugeot, ni de la macro à moins d’être un adepte du soufflet la tête à l’envers). Et je ne parle pas de la vitesse qui plafonne au grand millième de seconde, à peu près comme un instamatic de qualité.
Ou plutôt, si, j’en parle, parlons-en…C’est le sujet de cette brève déjà trop longue (mais distrayante j’espère).
On entend et on lit que le problème du M, parfois avant tous les autres, parfois à l’exclusion des autres (tiens, les autres tares n’en seraient donc pas ?), c’est sa trop faible vitesse d’obturation. Pauvre Oskar, et pauvres héritiers de Solms, qui n’ont pas réussi à lui faire passer le cap du 2000e sans le faire claquer abominablement. Ceci est dû, vous le savez, au fait que le défilement horizontal du rideau en toile caoutchoutée est mû par un ressort qu’on ne peut pas accélérer davantage étant donné qu’il déplace une matière souple, sensible à la déformation. On ne peut pas non plus jouer sur la taille de la fente car celle-ci est formée par le rapprochement d’axes sur lesquels s’enroulent les deux rideaux et qu’il y a un jeu mécanique minimal nécessaire à ce dispositif finalement très similaire aux enrouleurs des ceintures de sécurité de nos voitures modernes (Oskar était visionnaire !).
Le problème n’en était pas un quand les films sont (étaient) peu sensibles. C'est-à-dire que quand, comme Jean D., vous photographiez le désert avec du 25 asa, vous pouvez ouvrir à f :4 ou f :5,6 sans souci, vous resterez au 1 :500e à midi. Evidemment, le père Jean se met à râler quand, avec son film 160 asa, il doit rester au taquet de f :16 au 1 :1000e. Car sa créativité est alors limitée (profondeur de champ très grande sur toutes les vues), sans compter que les irrégularités d’exposition de son antiquité (un M2 black) sont sensibles à cette vitesse.
Le problème de la vitesse pas assez grande est alors un problème du film pas assez lent. Et malheureusement on ne trouve plus de film suffisamment lent. Ekreviss qui, j’en suis sûr, va lire ce fil un jour ou l’autre, ou l'autre compère Jean (de Bordeaux) ne me démentiront pas. Et j’affirme cela d’autant plus effrontément que je suis moi-même un gouniafier qui shoote au 400 iso dans le désert en défendant que c’est mon style (le poète a toujours raison pourrait-on dire, comme on dirait qu’il n’est pas nécessaire de détromper l’abruti).
J’en conclus que faire un procès au M, c’est faire un procès à l’évolution des films. J’entends déjà les cassandres à papa me rétorquer qu’il faut être de son temps, que l’exploration des ombres a permis l’essor de la photo moderne, et que c’est une victoire de la BASF (information pour ceux qui voudraient écrire l’épitaphe d’Agfa). Je reçois cette volée de bois vert sans broncher car je n’ai pas dit que les films rapides étaient inutiles. J’ai seulement suggéré qu’il était dommage de ne plus trouver de films lents.
Et pourquoi ne trouve-t-on plus de films lents ? Parce que les consommateurs sont trop paresseux pour changer de film entre deux situations de lumière (il faut rembobiner et préserver l’amorce, en ayant pris soin de noter sur son carnet en papier recyclé et avec un crayon de bois le numéro de la dernière vue exposée), ou trop fauchés (peuh !) pour gerber avec désinvolture dans leur fourre-tout deux ou trois appareils photo chargés chacun d’un film différent.
J’arrive donc à un point de mon raisonnement où, avec toute la plus mauvaise foi du monde, je ne peux pas ne pas défendre l’adaptation des appareils modernes aux hautes vitesses d’obturation.
J’ai donc écrit tout ça pour rien et je vous invite à réfléchir à une question plus pertinente dans le post suivant.