Bonjour ! Le débat technico-esthétique est sans fin à propos des Leica
M3,
M2 et
M4, et a déjà nourri de nombreux échanges sur notre site…
J’ai particulièrement apprécié les arguments de Philippandré, principalement fondés sur l’utilisation : ils sont pertinents et traduisent bien l’ambivalence des sentiments que l’on peut éprouver au sujet des modèles emblématiques de la "grande époque" de Leitz…
J’ajoute mon grain de sel à ce fil fort intéressant, en commentant quelques-uns de vos messages. Je disséquerai en particulier le début de
celui-ci de Coignet, un connaisseur qui sait analyser le design du Leica à l’aune du recul historique ; j’approuve ses dires concernant la série chronologique qui relie ensuite les Leica M5 et M7 (comportant six modèles) et ne la commenterai pas.
Préambule au sujet de quatre idées reçues souvent ressassées…- Le double armement des très anciens Leica M3 (jusqu’en 1958) n’est pas gênant (il possède même un charme indéniable). D’ailleurs n’armons-nous pas souvent en deux coups de faible amplitude, de toute façon ?
- Le compteur externe du Leica M2 n’est pas non plus gênant (il peut même être perçu comme une "coquetterie rétro") ; on le remet à zéro manuellement, ce n’est pas la mer à boire…
- Le chargement d’un M3 ou d’un M2 n’est pas problématique, et demeure en outre très sûr ! Chargement certes un peu longuet, mais sommes-nous si pressés ?
- Le rembobinage d’un M3 ou d’un M2 ne constitue pas une opération fastidieuse ! Rembobinage certes un peu longuet, mais – à nouveau - sommes-nous si pressés ?
Coignet a écrit :
(…) à mon avis,
le M3 est inachevé : les concepteurs ont remarquablement fait avancer le concept, mais n'ont pas réussi encore à se débarrasser de tous les présupposés de l'époque : alors qu'ils ont réussi à tout intégrer dans un boîtier aux formes fluides et sans accidents, ils ont sculpté des cadres qui ont alourdi la ligne. (…)
Le
Geistesstörung (
brain-storming en teuton
) dut être intense dans le bureau d’étude de Wetzlar, au début des années cinquante ! Nous avons déjà discuté de ceci, lors de la mémorable saga aboutissant à l’épure du
Leica M8 "Summilux.net" : ces moulures entourant les trois fenêtres peuvent être considérées comme de petits remparts protégeant les verres du contact des doigts… Elles ont été supprimées sur le M2 : "purisme" de la ligne ? Certes, mais aussi substantielle économie effectuée dans la foulée (souvenons-nous que le cahier des charges du M2 imposa un prix de revient inférieur à celui de son grand frère), car l’emboutissage d’un capot de M2 s’avéra moins coûteux que celui d’un capot de M3.
Ensuite, Coignet a écrit :
(…) Avec
le M2 (…) le compteur de vue intégré a été supprimé, ce qui est dommage. (…)
…Pour la même raison de prix de revient inférieur à celui du Leica M3.
Au sujet du Leica M4, Coignet a écrit :
(…) L'archaïsme que constituait la fausse platine descendant depuis le capot autour de la baïonnette a été abandonné. (…)
Archaïsme ? J’estime que cette prolongation verticale du capot, venant gracieusement enserrer en "demi-lune" la baïonnette, constitue un élément esthétique particulièrement raffiné. Cet ornement, que je vous invite à admirer ci-dessous sur les Leica M3 et M2, est hérité de la lignée issue du IIIc ; sa suppression allégea certainement le prix de revient du capot du M4...
D'une plume critique, Coignet a écrit :
(…) Mais, au regret de puristes, les leviers ont été redessinés avec des embouts de plastique noir, le bouton de rembobinage remplacé par une manivelle (…)
Tout à fait : c’est ce que j’appelle « l’altération de la ligne »…
Néanmoins admiratif, Coignet a écrit :
(…) Le M4 est le mieux construit de la gamme, ses emboutis sont parfaits, les assemblages somptueux. (…)
Le « mieux construit »… Gérard Métrot m’a en effet expliqué que la genèse du Leica M4 est survenue au moment d’un progrès technologique affectant l’outillage de fabrication : les cotes de nombreuses pièces sont devenues plus précises, plus constantes, de sorte qu’en cas de réparation une pièce remplacée sur un M4 s’encastre exactement dans son logement, sans qu’il soit nécessaire de l’ajuster légèrement à la lime comme c’est parfois le cas sur une pièce équivalente dans les modèles antérieurs.
Achevant l’éloge du Leica M4, Coignet a écrit :
(…) Les chromes satinés sont les plus beaux de la gamme M. (…)
Ce chrome satiné Leitz est en effet absolument somptueux et inégalé, mais la qualité de celui du M4 ne surpasse pas celle de ses deux aînés, l’apogée étant d’ailleurs atteint depuis belle lurette : dès le Leica IIIf…
Paradoxal a écrit :
Coignet a écrit :
Le M5 est à part, n'entre pas dans la série.
Exact. Le M5 ne dévoile ses splendeurs (oui, oui, ne vous marrez pas !) que si on le porte à l'oeil. Là, c'est le bonheur absolu car ici, on frise alors la perfection.
Absolument : le Leica
M5 est un modèle en avance sur son temps (là aussi la perception du recul historique est nécessaire), qui n’a malheureusement pas obtenu le succès qu’il méritait. Le viseur du M5 demeure inégalé !
A propos du Leica M4, Michelangelo a écrit :
(…) Il a les avantages du M2 et du M3 sans les inconvénients des deux (prisme sujet à la séparation sur les M3, compteur de vue manuel pour le M2, chargement laborieux par bobine amovible pour les deux, molette de rembobinage inchangée par rapport à un IIIf). (…)
- « prisme sujet à la séparation sur les M3 » : en toute rigueur il faut également brandir cette épée de Damoclès vers le M2, car les prismes de ces deux modèles sont assemblés au baume du Canada ; le risque d’"aveuglement" du viseur par rétraction de cette résine demeure toutefois très faible (j’ai récemment évoqué ce sujet ici).
- « compteur de vue manuel pour le M2, chargement laborieux par bobine amovible pour les deux, molette de rembobinage inchangée par rapport à un IIIf » : j’estime qu’il ne s’agit pas d’inconvénients (voir plus haut), mais de particularités…
Michelangelo a écrit :
(…) 6/ M3 "tout venant" ou "M3-Betrieb" de la première fournée avec les 4 vis supplémentaires sur les faces verticales du capot ? ...
Ces Leica M3 « avec les 4 vis supplémentaires sur les faces verticales du capot » ne sont pas des "M3-Betrieb" (en fait
Betriebsk *) mais représentent l'ensemble des M3 qui ont été commercialisés en 1954 et 1955, jusqu’au n° 782000, soit 46936 boîtiers (montrant d'ailleurs en outre entre eux-mêmes quelques variantes).
* Betriebsk (pour Betriebskamera), c’est-à-dire des "boîtiers d’usine" (dûment gravés "M3 Betriebsk") utilisés à Wetzlar pour diverses applications (tests, essais…) ; chaque modèle de Leica a connu ses Betriebsk.Jean D.