Au cœur du Luberon : le fort de Buoux (XIIIe s.)

Jean D.
    Eléments architecturaux
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Merci Coignet, nous apprenons les noms d’éléments architecturaux, si beaux dans leur simplicité…
  • La voûte à « clef et claveaux à crossette » : ingénieux et élégant à la fois… Je suppose que l’arc est plus stable quand ses pierres constitutives ainsi sculptées (avec un "ressaut" sur chaque face en contact) sont assemblées, où y a t’il une autre explication ? Le bas de la clef a dû se casser et tomber ?
  • « La fourrure intérieure du mur, constituée de cailloux non dégrossis, dans un bain de mortier de chaux » : j’ai souvent remarqué cela sur des murs en ruine. Je suppose que cette solution est plus économe, tout en demeurant presque aussi solide ?
  • La « maçonnerie de gros moellons dont les assises sont taillées dans la roche » : vraiment superbe, la roche en place est façonnée pour devenir un soubassement rationnel, ménageant des "marches d’escalier" et de vastes surfaces horizontales destinées à recevoir les premiers moellons…
Bravo pour l’utilisation du Super-Elmarit f:2,8/15 mm, que tu maîtrises vraiment bien et qui paraît exempt de déformations si l’appareil est tenu bien d’aplomb. On se fait à cette perspective, qui devient étonnamment presque naturelle…

Jean D.
Eric Bascoul
    Re: Eléments architecturaux
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Jean D. a écrit :
[...] Bravo pour l’utilisation du Super-Elmarit f:2,8/15 mm, que tu maîtrises vraiment bien et qui paraît exempt de déformations si l’appareil est tenu bien d’aplomb. On se fait à cette perspective, qui devient étonnamment presque naturelle…

Jean D.

:D yes yes et tout, :content: :applaudir:

mais 3,5/15mn Super Elmar :mrgreen2: , c'est pour chipoter :oops:
bises :D
Jean D.
    15 mm ?
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(salut Dido !)

:o Ah bon, ce ne serait pas le Super-Elmarit f:2,8/15 mm :?: Je m’y perds : les réflex je les connais assez mal... :oops:
Quoi qu’il en soit, les images faites avec par Coignet sont superbes !

Jean D.
Coignet
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Non, Jean, il s'agit du modèle antérieur, dit Super-elmar 3,5/15mm.


à gauche, le super-elmar, qui a été calculé par Zeiss et produit à partir de 1980, et à droite, son remplaçant depuis cinq ans (je crois), le super-elmarit, calculé par Schneider.
Tu sais que ce sont de vieux partenaires de Leitz, qui avaient déjà donné au Leica le super-angulon 21mm de 1958 (Schneider) et l'Hologon 15mm de 1972 (Zeiss).

Ces deux optiques sont hors-norme, une si courte focale avec une formule optique retrofocus constituant un exploit, pour le concepteur, mais aussi pour le fabricant.
Je possède la première qui est beaucoup plus accessible (financièrement) et qui me satisfait pour l'instant tout-à-fait. Elle a en effet de légers petits défauts (un peu de déformation en barillet dans le tiers central de l'image, et un net flou dans les angles, mais vraiment au "fond des angles" si je puis m'exprimer ainsi…)
citation :
La voûte à « clef et claveaux à crossette »
La crossette est bien ce ressaut sur le claveau ; le claveau du centre se nomme "clef" ; les crossettes permettent d'éviter les glissements lorsque la maçonnerie subit des déformations ; dans ce cas-ci, comme tu l'as remarqué, les doubles-crossettes de la clef ont constitué un point de fragilité lors de tassements qui ont généré des efforts particuliers sur le haut de l'arc.
citation :
« La fourrure intérieure du mur, constituée de cailloux […] Je suppose que cette solution est plus économe, tout en demeurant presque aussi solide ?
En effet ; les murs sont constitués de parements, plus ou moins importants, suivant leurs rôles et la résistance nécessaire. Les murs les plus fins comportent un seul parement, souvent dans les derniers niveaux, ou pour de petits bâtiments modestes ; ils font couramment deux parements, plus ou moins bien appareillés, et plus ou moins bien liés entre eux (lorsqu'ils sont mal liés, ce qui est courant en milieu rural, ça donne ça, voir ci-dessous, ce mur en ruine partielle dont les deux parements sont en train de s'écarter) ;

pour les ouvrages plus importants, avec une grande épaisseur de mur, les deux parements sont appareillés, en pierre de taille (photo 15), ou en moellons (photo 16), ou en moellons simplement ébauchés (partie gauche de la photo 15), espacés, et le remplissage est fait d'une fourrure comprenant des cailloux de ramassage noyés dans un béton de chaux.
Cette technique du béton de chaux, telle qu'elle a été utilisée jusqu'à l'âge du ciment, et du calcul de structures, nous vient des romains.
Coignet
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Il n'est pas rare que la fourrure du mur soit d'une stabilité défiant le temps. Comme les pierres des parements ont souvent été réutilisées pour d'autres constructions, on trouve ainsi des pans de murs entiers déshabillés, la partie centrale restant debout, comme sur les vestiges de cette chapelle ci-dessous :


(fort saint-André, Villeneuve-les-Avignon)
Jean D.
    Belle leçon d'architecture !
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Bonjour !
Décidément très pédagogue, Coignet a écrit :
(…) la partie centrale restant debout (…)
:o Etonnant ! Merci pour ces renseignements d’ordre architectural et optique !
Je connais bien le Super-Angulon f:3,4/21 mm (j’en possède un) et me souviens (vers 1970 ?) de la stupéfiante sortie de l’Hologon f:8/15 mm (conçu chez Zeiss par Erhard Glatzel), monté à demeure dans un appareil Zeiss non réflex (lointainement dérivé du Contarex), avec viseur incorporé ; Zeiss recommandait de tenir l’appareil par les bords, pour que l’extrémité des phalanges n’apparaisse pas dans le champ ! Curiosité liée à la complexité de cette optique (qui ne possède que trois lentilles) : le diaphragme est fixe (à f:8 ) : c’est simplement un orifice circulaire. Ensuite est apparue (en 1972) la version de cet objectif à baïonnette "M" (voir ici), qui a étonné car à cette époque Zeiss et Leitz étaient considérés (à tort) comme de grands rivaux incapables de collaborer. Autre curiosité : le filtre gris-neutre dégradé (plus dense au centre) destiné à compenser le vignettage ! J’ai déjà évoqué l’Hologon sur cette page.
A propos de l’arc en plein-cintre du fort de Buoux, Coignet a écrit :
(…) les crossettes permettent d'éviter les glissements lorsque la maçonnerie subit des déformations (…)
En effet ; c’est simple et beau à la fois, quelle ingéniosité !
Achevant cette fort intéressante explication, il a écrit :
Cette technique du béton de chaux, telle qu'elle a été utilisé jusqu'à l'âge du ciment, et du calcul de structures, nous vient des Romains.
Voici bien la preuve qu’ils n’étaient pas fous, ces Romains ! :wink:

Jean D.
Bertrand S
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Coignet a écrit :
Il n'est pas rare que la fourrure du mur soit d'une stabilité défiant le temps.


C'est le cas des monuments romains à Lyon où les habillages en marbre ont été réutilisés.
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(C'est un plaisir de raconter les ennuis passés)
Proverbe yiddish placé par Primo Levi en tête de Si c'est un Homme
Green
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Bonjour, je parcours ce sujet depuis quelques jours avec beaucoup d'intérêt. Les photos et les commentaires sont d'une grande qualité didactique et esthétique Coignet, en ce qui conçerne la fourrure des murs (terme que qui n'était pas dans mon vocabulaire), il me semble que les incas, mayas, aztèques, utilisaient aussi cette technique, et même sur l'Ile de Pâques je crois que l'on peut voir ce type de procédé.
yousse
    Superbes photos Coignet
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Quelle chance de pouvoir partager en image d'aussi belles régions !!!
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Coignet
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Green a écrit :
il me semble que les incas, mayas, aztèques, utilisaient aussi cette technique
Cette technique des parements appareillés et d'un cœur de fourrure est en effet très ancienne. Parfois, il s'agit d'un simple blocage (des pierres non taillées et non hourdées), pour les constructions les plus anciennes comme celles de l'Île de Pâques, et comme par exemple, géographiquement plus près de nous, le grand cairn de Barnenez (Bretagne, près du Guilvinec), vers -4500 av. J.C.
Les premiers exemples de maçonneries dont le cœur est hourdé (pierres liées avec un mortier), le sont avec un mortier d'argile ; on trouve les plus anciens en Anatolie du sud, au VIIe millénaire avant notre ère. Effectivement, comme tu le fais remarquer, ces mortiers d'argile ont aussi été utilisés en Amérique préhispanique, les premiers vestiges connus datant à peu près de 2000 av. J.C. La technique de l'adobe a aussi souvent été utilisée au Pérou, pour constituer le cœur de murs dont les parements sont en pierre appareillée ; l'adobe est une brique d'argile crue moulée et séchée, puis hourdée avec un mortier d'argile frais qui va lier l'ensemble en faisant sa prise. Les pierres des parements sont hourdées avec un mortier d'argile et d'eau de mer, particulièrement résistant. Il semblerait que c'est vers 200 ap. J.C. qu'on voit apparaître le mortier de chaux en Amérique du sud.

Géographiquement plus près de nous, le mortier de chaux se généralise dans le monde romain au IIIe siècle av. J.C.
Sa technique était connue depuis plus longtemps, depuis qu'on a découvert que certaines pierres, une fois cuites et réduites en poudre, avaient la particularité de donner, après mouillage, une pâte devenant après sa prise aussi dure que de la pierre.
La première qui a été utilisée ainsi largement, est le gypse, qui, cuit à 180°, donne le plâtre ; on trouve les plus anciens enduits de plâtre en Anatolie, vieux de 9000 ans.
La chaux ne s'est généralisée que plus tard, en raison de la forte température nécessaire pour cuire le calcaire : 850 à 900°.

Le béton de chaux, et le hourdage à la chaux, ont été utilisés de manière empirique jusqu'au XIXe siècle. En effet, on obtient des liants de qualité différente suivant le taux d'argile contenu dans le calcaire que l'on cuit.
Il a fallu le travail de l'ingénieur Louis Vicat, en 1813, pour découvrir qu'une cuisson à plus forte température donnait un liant différent : à 1400°, on obtient un ciment. Vicat découvre ensuite l'importance du dosage en argile pour obtenir des liant de différente qualité, chaux ou ciment. La fabrication industrielle commence en 1853.

A préciser qu'il existe de l'habitat plus ancien, mais qu'il n'est pas en pierre, et ne comporte pas de murs avec cœur de fourrure. Cette technique a dans le monde entier été réservée à des constructions exceptionnelles, logiquement les seules qui nous restent.
Pour l'habitat quotidien et modeste, on ne trouve généralement plus que les fondations ; il est généralement fait de terre crue, torchis, qui n'ont pas résistés ainsi à plusieurs millénaires. La construction en pierre se généralise chez les gens modestes en Europe à partir du XVIIe siècle, et plutôt sur ce modèle déjà montré plus haut :

villegas juan carlos
    extra!
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buenos aires argentine
Coignet, bravo pour tout ce que tu nous apprends avec élégance et finesse.

De très belles images, accompagnées de commentaires très didactiques.
La photographie est la discipline de l'évidence en un millième de seconde de délire. Bernard Plossu
http://barnackla404.blogspot.com/
Daniel
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Depuis le 6 jan 2006
Moselle
Coignet a écrit :
Cette technique du béton de chaux, telle qu'elle a été utilisée jusqu'à l'âge du ciment, et du calcul de structures, nous vient des romains.



J'ai lu un article récemment qui m'a assez surpris dans "La minute du BTP" où il était écrit que les romains connaissaient déjà des liants qui avaient les qualités de nos ciments actuels. Laurent confirme donc ce propos, si tant est qu'il devait être confirmé.

Superbes photos. Les commentaires qui les accompagnent en amènent une lecture diférente. La magie du savoir. Pourquoi ces éléments se présentent à nous d'une telle manière et non pas d'une telle autre.
Merci Coignet.

Bonne soirée à tous
Daniel
daniel/a/summilux.net
Pythéas
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PACA
Venant du monastère de Saint Roman (autre fil), je redécouvre avec plaisir ces photos du fort du Buoux, épaté par les cadrages au 15 mm. Sans compter l'intérêt des commentaires. Merci Coignet !
Si tu connais d'autres coins du même intérêt en Provence, merci de nous en faire part :content:
Coignet
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75001
Merci !

D'autres photos de Buoux sont visibles ici.

Pour Saint-Roman, vous en trouverez là, d'une nature relativement différente.

D'autres lieux ? J'y penserai. Vous pouvez toujours visiter avec nous Montmajour.
Doc Henry
Vieux briscard
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Merci à Laurent pour cette explication architecturale claire
(n'as tu pas un petit penchant pour l'archéologie?)

Très intéressant commentaire
Belles photos réalisées au R4 avec cet grand angle

et merci de nous les montrer
Henri
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