Chers ami(e)s,
Les années se suivent et se ressemblent. Mon silence n’est pas synonyme de désamour pour la photo et je suis bluffé par la qualité de certains posts dans ce forum voyage désormais administré à 100% par mes collègues docteurs es photographie que je salue ici. Bravo à toutes celles et ceux qui font vivre ce site, devenu mondialement connu.
Quand je refais des photos au Leica, je replonge avec plaisir, une fois par an en moyenne, dans mon labo argentique, que je dois dépoussiérer pour l’occasion (pas trop car on fait alors généralement pire que mieux, j’ai eu cette année des gros problèmes de poussières dans mes cuves de développement film que j’avais mal fermées). Cela me donne aussi l’occasion de dégripper mon cher Focomat IIc.
Alors que je fais des centaines de photos numériques pour le boulot, le voyage de découverte, même géologique, est l’occasion de « faire du Leica ». C’est comme un sport différent, avec une remise en jambes (c’est le mot juste, voir la danse d’HCB) et un recadrage du monde. Cette année, à nouveau grâce à un trek géologique, je vous emmène au Laddakh. Nous y étions avec un groupe du CBGA l’été dernier, au moment des inondations, ce qui nous a causé de grandes émotions.
Toutes les photos ont été faites au 35 ou au 21, vous retrouverez sans doute lesquelles au 21 (on pourrait faire un quizz !). J’ai hésité à prendre le 50, qui d’après ce cher Jacques Zekkar m’allait mieux dans ce type de voyage, mais plus je vieillis mieux j’aime les courtes focales. Le film est du Tx développé avec du Xtol. Je n’ai pas encore fait les tirages, ce sont des scans de néga que vous voyez ici (scanner film Nikon). J’ai essayé de rendre au mieux tous les gris, car je n’aime pas le noir et blanc
sensu stricto... Mais je me suis battu un peu avec les négas qui étaient assez peu contrastés...
Ce voyage commence sous les auspices d’une contemplation géologique et finit en
road movie. Mon appareil suit forcément ce glissement vers le « reportage » (pour rester cohérent avec ce que je viens de dire je suis obligé de mettre des guillemets), vous m’en excuserez. Mais c’est mon expérience et mon souvenir du Laddakh.
Mais je bavarde, je bavarde, alors place aux photos.
452-18. Faubourgs de Dehli. Nous sommes en route pour le nord.
453-14. A deux jours de bus, premières difficultés au col du Rothang, au nord de Manali.
Des travaux bloquent la circulation sur plusieurs kilomètres et pendant des heures.
Des marchands ambulants remontent la file de véhicules arrêtés, proposant du thé et des bricoles à manger.
453-18. Au col du Rothang, 3980 m, l’Himalaya apparaît dans toute sa splendeur.
Chaque chose dressée vers le ciel a sa traîne de prières sauvages.
453-33. Col de Baralacha La, 4950 m. Nos poumons pédalent follement.
Ici comme ailleurs en Himalaya, chaque col a son écharpe de prières usées.
455-28. Lac salé de Tso Kar, 4530 m. Curieuses boursouflures sur le sol des banquettes lacustres.
De l’autre côté du lac paissent des hémiones.
455-37. En contre-haut du lac, des blocs tombés des montagnes arborent des sésames gravés.
Des tétraogalles volent dans le ciel.
La lumière est grise mais elle transperce tout.
456-04. Col de Chang La, 5358 m. Les Tata décorés rivalisent avec les temples.
Pour chacun, un fronton et deux grands yeux carrés.
Etrange convergence de forme.
456-12. Vers Tangtse, la croûte terrestre comme si elle sortait du tube, dans les granites fondus du dôme de Tso Morari.
456-14. Monastère de Chemrey.
Hâvre et forteresse, avec son donjon cerclé de moulins à prières.
456-36. Quartier musulman de Leh. Un arbre... incontournable.
Et un autre étrangement emmailloté.
457-06. Rue principale de Leh.
Peut-être incongru mais la scène était telle et je faisais mon marché de photos.
Je m’interroge aujourd’hui sur l’enjeu de la présence du bébé.
457-10. Phanjila, vallée de la Yapola.
Au bivouac du premier jour de trek, un petit gars descendu du village, d’abord impassible puis tout sourire.
C’était avant la crue.
457-16. Photoksar, 4300 m, vallée du Photang.
Le village nous semble abandonné mais il ne l’est pas.
La très haute altitude raréfie tout, sauf la sensation d’exister.
457-21. Habitante de Photoksar, croisée dans les champs.
457-36. Honupatta, vallée de la Spong, au petit matin le lendemain de la crue.
Dans la nuit la rivière a emporté un pont centenaire, dont les reliefs forment cette cascade.
Deux morts dans le village. Le voyage bascule.
La nuit précédente, nous étions en altitude et il avait certes plu beaucoup, au point que des ruisseaux étaient apparus entre les tentes.
Mais en Himalaya, plus on est haut, plus les vallées sont larges et moins il pleut ; le risque était donc bien moindre pour nous.
458-17. Vallée de la Spong, le lendemain de la crue.
Nous redescendons vite : la route s’effondre derrière nous, heure par heure, dans cette gorge.
Tout a cette même couleur de soie grise.
459-16. Lamayuru, deux jours après.
Tous les ponts vers Leh sont désormais coupés.
On est dans l’incertitude du retour sur la vallée de l’Indus.
460-06. Khalatse. La sieste sur le chantier. Petit répit dans notre fuite, aussi.
Nous sommes bloqués quelques heures ici en attendant un camion éventuel.
Alors je visite des vergers d’abricotiers, en haut du village, à l’abri de magnifiques peupleraies.
460-31. Nurla. Le pont et la route ont été emportés sur 500 m au confluent avec l’Indus.
Des villageois tentent de faire des ponts de branchages en attendant l’intervention de l’armée.
Nous passerons plus en amont.
461-16. Rive de l’Indus. La route, coupée tous les 5 km, survit à fleur d’eau, dans un silence à peine bruité par le fleuve en crue.
Des colonnes de piétons au regard souvent fiévreux tentent de regagner Nurla.
Nous avons préféré passer par la montagne.
461-25. Aux abords de Bazgoo, l’armée intervient.
Des épaves émergent des eaux qui ont reflué.
461-31. L’armée nous transborde vers Leh, où nous arriverons le lendemain.
On conservera un certain temps ce regard halluciné.
La Nature, que nous aimons et que nous étudions, vient de nous donner une nouvelle leçon.
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A trois jours près, nous perdions tout à Phanjila, le 5 août. Nous y étions passés le 2 et le seul endroit pour camper était le lit de la rivière. Trois trekkeurs s’y sont noyés le soir de la crue, emportés par une vague de boue.
Epilogue. J’ai encore le dernier rouleau du voyage dans l’appareil, comme quoi la vie quotidienne reprend vite ses droits... Je vois très bien cette image de bestiaux au coin d’une rue salie par la boue. Mais peut-être sera-t-elle totalement différente quand je la découvrirai développée ? C’est la magie du différé, propre à l’argentique...
A l’an prochain pour un autre voyage ?
Amitiés photographiques,
JY